Connaissez-vous vraiment la littérature suisse ?
La littérature suisse a-t-elle une identité propre ou bien est-elle profondément européenne avant tout ?
Les Argonautes ont rencontré quelques auteurs suisses fascinants afin d’en savoir plus sur la création littéraire du moment de nos voisins helvétiques. Parler de la littérature d’un pays est une tâche particulièrement complexe, surtout quand il s’agit de décrire le foisonnement d’une scène littéraire d’une taille et d’une tradition artistique aussi importantes que celle de la Suisse.
Commençons avec quelques classiques modernes, toujours très influents de nos jours. Pour la Suisse, les auteurs évidents à nommer seraient certainement Robert Walser, Friedrich Dürrenmatt ainsi que Max Frisch.
Dans un autre registre mais néanmoins intéressant à citer, puisqu’il s’agit d’une femme de lettres ayant marqué durablement l’image de la Suisse à l’étranger : Johanna Spyri, née Johanna Heusser, autrice d’histoires pour enfants. Elle est notamment la créatrice du fameux personnage de Heidi, cette petite orpheline qui découvre la vie dans les alpages des Grisons, auprès de son grand-père grincheux au premier abord.
Une littérature écrite en quatre langues
Les auteurs suisses écrivant en allemand et en français sont pour la plupart publiés par des éditeurs allemands ou français. Il n’est donc pas toujours facile de savoir, ni pour les lecteurs germanophones, ni pour les lecteurs francophones, si un auteur est finalement de nationalité suisse ou non. Mais est-ce finalement si intéressant de faire la différence ?
En vous parlant de littérature suisse actuelle, nous ne cherchons certainement pas à définir, à confiner ou à mettre dans des cases ce qui n’a aucune vocation à y être mis. Nous souhaitons simplement comprendre comment la littérature suisse participe, à sa manière, à l’espace imaginaire d’une littérature européenne.
Notre modeste ambition consiste donc à réfléchir sur les points communs, les influences et le développement des identités d’une littérature vivante qui la plupart du temps préfère échapper à toute tentation de définition ou de catégorisation.
Et c’est sans doute cela que nous aimons tant quand il s’agit de parler de ces livres qui nous passionnent. La littérature suisse est avant tout une littérature européenne.
« L’attribution nationale de la littérature ne joue aucun rôle pour moi dans mon écriture », nous a dit à ce sujet Gianna Molinari, jeune autrice suisse. « Je ne considère pas non plus ma littérature comme de la littérature suisse. »
Gianna Molinari a été très remarquée pour son premier roman Ici tout est encore possible, dont la traduction française de Françoise Toraille a été publiée par les éditions La croisée fin 2021. Dans ce texte, une jeune femme travaille comme gardienne dans une usine au bord de la faillite. Un loup y a été vu aux alentours. La peur de l’autre et la façon dont nous posons nos limites deviennent un sujet important pour la protagoniste.
« Bien sûr, on pourrait dire : le roman parle de repli sur soi, cette thématique est traditionnelle dans la littérature suisse. Ou encore : le roman parle d’un loup, cette problématique est une tradition en Suisse. Mais ces traditions se retrouvent aussi ailleurs », dit Gianna Molinari dans notre interview.
Nous avons déjà là des indices de ce qui pourraient être des motifs récurrents de la littérature suisse : l’enfermement sur soi, reflété par la géographie montagneuse du pays, mais aussi par sa neutralité, ses coffres forts et ses comptes bancaires anonymes. Mais c’est finalement en contrastant avec cette idée que la Suisse crée son identité actuelle.
Quand on parle de littérature suisse, on parle en général quasi exclusivement de livres écrits en allemand. Nous n’avions même pas conscience de ce phénomène étonnant avant que Peter Stamm, grand auteur suisse du moment, l’évoque au cours d’un entretien. Ce n’est donc pas par volonté de restreindre la richesse ou l’envergure de la production suisse que nous allons parler ici surtout des traductions de l’allemand. Notons néanmoins que la littérature suisse comprend évidemment des publications dans chacune des quatre langues officielles : l’allemand, le français, l’italien et le romanche.
Côté francophone, la Suisse possède des auteurs aussi connus que Charles-Ferdinand Ramuz, Blaise Cendrars, Charles Lewinsky ou encore, plus récemment, l’auteur bestseller Joël Dicker. Arno Camenisch, auteur suisse publié chez Quidam Éditeur, écrit en général en allemand, mais il a également déjà signé des textes en romanche.
Le prix du livre suisse, le Schweizer Buchpreis, est néanmoins décerné exclusivement aux livres en suisse allemand. Il faut dire que malgré l’existence de nombreuses maisons d’édition prestigieuses et foisonnantes dans le pays, beaucoup d’auteurs suisses de langue allemande et de langue française sont publiés plutôt par des éditeurs respectivement allemands ou français. On observe le même phénomène avec les auteurs belges et québécois.
Seule exception suisse : le grand éditeur indépendant Diogenes à Zurich, qui publie en même temps que des auteurs suisses quelques-uns des plus grands auteurs internationaux et même allemands, comme Bernhard Schlink ou Patrick Süskind.
La Suisse, un pays de passage
« La Suisse a ce profil très marqué : les montagnes, le lait, les vaches, les fermiers. Mais en vérité c’est un profil entièrement artificiel », nous a dit Peter Stamm, aujourd’hui le plus traduit des auteurs de la Suisse, lors d’un interview. « Notre héros national Guillaume Tell n’a jamais existé, Heidi n’a jamais existé. La Suisse a toujours été un pays extrêmement ouvert, pas en ce qui concerne l’ouverture d’esprit, mais dans le sens des allers et retours des gens qui l’ont traversé. C’est un pays de passage. »
La Suisse est en quelque sorte le portail entre le nord et le sud de l’Europe et profite ainsi des influences les plus diverses. Sa société est aujourd’hui d’une diversité culturelle particulièrement riche. « C’est pour cela que nous avons du mal avec notre image. La littérature suisse est comme la nourriture suisse, extrêmement mélangée. Il y a des influences françaises, des influences italiennes, des influences allemandes et autrichiennes. Pour moi la littérature suisse n’a pas de profil très clair. »
Le renfermement sur soi et la peur de l’autre, un phénomène suisse ?
Toujours assez lié à ce premier thème de l’enfermement ou de l’ouverture, arrive le deuxième : celui du loup, ou de la peur de l’autre, que Gianna Molinari explore avec beaucoup de sensibilité dans son premier roman.
Une grande partie de l’Europe baigne pourtant dans cette tradition orale de la menace du loup, de l’étranger qui s’en prend aux innocents et risque de nous surprendre, voire de s’introduire dans notre foyer pour nous faire du mal. « Mère-Grand, que vous avez de grandes dents », faisait remarquer le petit chaperon rouge au grand méchant loup déguisé. Et celui-ci répond : « C’est pour mieux te dévorer ! »
Ces thèmes semblent avant tout être liés à un mode de vie traditionnel, proche d’une nature parfois dangereuse. Les auteurs suisses ne sont pas les seuls à s’être attaqué à ces sujets. On peut toutefois souligner quelques romans concernés comme L’homme apparaît au Quaternaire de Max Frisch, qui lie magnifiquement le thème de la mémoire à celui de la nature, ou encore Les enfants Tanner de Robert Walser, particulièrement imprégnés de ces thématiques. Dans dans le roman L’un l’autre de Peter Stamm, le protagoniste part dans la montagne sans s’y être préparé et en subit les conséquences.
Des influences littéraires du monde entier
Les auteurs suisses s’inspirent beaucoup, comme la plupart des auteurs européens, de ce qui vient d’ailleurs. Souvent, ce sont les auteurs anglo-saxons majeurs du XXe siècle, mais aussi, comme dans le cas de Peter Stamm, des auteurs scandinaves et de l’Europe centrale.
Les auteurs d’aujourd’hui semblent de manière générale moins revendiquer leur héritage. « Ce qui m’intéresse, c’est plutôt de faire partie d’une
polyphonie, nous a dit Gianna Molinari, de m’inscrire non pas dans une tradition narrative nationale, mais dans la narration même. »
La sobriété du style d’un Peter Stamm, qui expérimente avec le destin de ses personnages passant d’ailleurs souvent une partie de leur vie à l’étranger – New York, Barcelone, Stockholm – paraît ainsi un peu plus proche de celle d’un Max Frisch. L’imaginaire de la jeune autrice suisse Gianna Molinari correspond peut-être davantage à l’univers poétique et rêveur d’un Robert Walser
Arno Camenisch, publié chez Quidam Éditeur, écrit des romans proches de sa terre natale, les Grisons suisses. Diana Grigorcea, autrice d’origine roumaine qui a grandi à Bucarest et s’est définitivement installée en Suisse, s’inspire de la forme très aboutie de la littérature russe afin de concevoir une ode moderne à la ville de Zurich : La dame au petit chien arabe.
Matthias Zschokke, grand romancier suisse et auteur d’une douzaine de romans traduits en français, a choisi de vivre à Berlin il y a plusieurs décennies déjà. C’est justement son regard d’un auteur suisse, ou plutôt simplement d’un auteur qui n’est pas originairement de la capitale allemande, qui lui a permis d’écrire avec Le gros poète un « roman berlinois » par excellence.
Riche de ce qui la constitue, la littérature suisse semble aujourd’hui avant tout plus diverse qu’elle l’était auparavant. Il y a une belle parité entre les autrices et les auteurs, qui y trouvent leur public et sont largement traduits. Elle semble accueillir autant d’auteurs venant d’autres cultures qu’elle voit ses auteurs partir vivre ailleurs. Elle se préoccupe de sujets classiques et philosophiques autant que de l’actualité sociétale. Son foisonnement et sa capacité de se réinventer semblent évidents.
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