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Lina Wolff nous offre un grand roman sur les mécanismes de l’emprise

Rencontre avec l’une des voix les plus fascinantes de la littérature scandinave d’aujourd’hui

Lina Wolff, Prix August en Suède, autrice de romans étonnants largement traduits dans le monde
Lina Wolff © Gustav Bergman

Dès son premier roman, Bret Easton Ellis et les autres chiens (Gallimard, 2019), la suédoise Lina Wolff a imposé son féminisme farouche, attentif aux violences contre les femmes et surtout aux dommages émotionnels qui découlent de leurs rapports avec les hommes.

Dans La Prise du diable, son cinquième roman paru chez Les Argonautes, Lina Wolff repousse toujours plus loin les limites de son œuvre. Déjà traduit en une dizaine de langues, ce livre très attendu a été de nouveau sélectionné pour le prestigieux prix August, équivalent du Goncourt en Suède, qu’elle avait déjà remporté avec Les Amants polyglottes (Gallimard, 2018).

La Prise du diable est le récit haletant d’une histoire d’amour et de pouvoir qui ne pourrait pas tourner plus mal. En empruntant la perspective d’une femme qui s’enfonce irrésistiblement dans le gouffre d’une relation toxique, le récit nous entraîne dans le maelstrom d’une situation sans issue.

Lorsqu’une jeune femme scandinave installée à Florence entre en relation avec un homme laid et peu assuré, les gens s’arrêtent dans la rue : que fait quelqu’un comme elle avec quelqu’un comme lui ? Elle se dit qu’elle pourrait le changer, que c’est elle qui est aux manettes de leur couple. Elle ne sait pas que la prise du diable s’est déjà refermée sur eux.

Par sa langue envoûtante et reconnaissable entre toutes, Lina Wolff sonde les mécanismes de la psyché humaine la plus sombre – le véritable “diable”. Derrière une apparente légèreté, La Prise du diable est un grand roman sur l’emprise.

La romancière suédoise Lina Wolff autrice du roman La Prise du diable publié aux Argonautes
Lina Wolff © Gustav Bergman

Lina Wolff a bien voulu répondre aux questions de l’équipe des Argonautes :

Lina Wolff, vous êtes une écrivaine suédoise dont les romans nous font voyager à travers l’Europe. Votre premier roman se déroule en Espagne, tandis que l’Italie – en particulier Florence – joue un rôle important dans La Prise du diable. Que représente l’Europe pour vous et votre écriture ?

L’Europe, cela représente tout pour moi. J’ai quitté la Suède à l’âge de 18 ans et j’ai vécu à l’étranger pendant plusieurs années, en Italie et en Espagne, et j’ai également passé quatre mois en France. J’ai pris un immense plaisir à découvrir de nouvelles cultures et coutumes et, bien sûr, d’autres langues. En tant que citoyenne, je me sens bien plus européenne que simplement suédoise. Lorsque vous vivez dans des endroits différents, diverses cultures se mélangent en vous, et bien que cela puisse être déconcertant, c’est avant tout profondément enrichissant. Je me flatte de croire que mon âme est celle d’une exploratrice et qu’elle ne pourra jamais appartenir à une seule nation.

« L’Europe, cela représente tout pour moi. »

Vous êtes également traductrice littéraire de l’espagnol et, comme votre protagoniste, vous avez travaillé en tant qu’interprète. La langue et la traduction sont omniprésentes dans La Prise du diable. Tandis que Minnie se voit entraînée dans une spirale de violence, sa connaissance de plusieurs langues est souvent la dernière chose à laquelle elle se raccroche. Quelle valeur accordez-vous à la traduction ?

Il y a une valeur évidente pour l’œuvre traduite, car elle est transmise d’une langue à l’autre par un traducteur qui devient une sorte de co-auteur dans la nouvelle langue. Je crois que cela crée un lien spécial et précieux entre deux esprits créatifs : celui du traducteur et celui de l’écrivain. Cependant, pour moi, en tant que traductrice et écrivaine, travailler avec des œuvres telles que Cent ans de solitude ou n’importe quel roman de Roberto Bolaño ou de César Aira offre également la possibilité d’étudier l’art d’un autre écrivain. On commence à remarquer des traits dans la structure et le langage, et on mémorise presque l’histoire du roman, ce qui, dans le cas de l’intrigue sinueuse de Cent ans de solitude, devient une façon de saisir pleinement la profondeur d’un récit vaste et incroyable. Je dois beaucoup à toutes les connaissances qui découlent de ce type de compréhension.

« La traduction est une façon de saisir pleinement la profondeur d’un récit vaste et incroyable. »

La Prise du diable raconte l’histoire d’une relation de plus en plus destructrice du point de vue d’une femme. La narratrice est confrontée à la violence du regard masculin de son partenaire et subit également des violences physiques. Pourtant, elle ne peut se résoudre à le quitter. Qu’est-ce qui a motivé la création d’un tel récit ?

Pour différentes raisons, je me trouvais dans une période très sombre de ma vie lorsque j’ai écrit ce livre. Cela dit, ma principale motivation était d’écrire une histoire divertissante, bien qu’horrible, sur un état psychologique que je ne comprenais pas personnellement. Dans ce genre de situation, l’exploration contenue dans l’écriture même devient un moyen de comprendre des suites d’actions complexes. Je me posais beaucoup de questions, comme celle que vous posez indirectement : comment peut-on rester coincé dans une relation violente et destructrice ? J’ai souvent pensé au film de Buñuel, L’ange exterminateur, où un groupe de personnes est incapable de quitter une pièce alors que la porte est ouverte et qu’elles pourraient théoriquement sortir. Cependant, lorsque j’ai commencé à écrire, je me suis intéressée au traumatisme à plus grande échelle et à la manière dont il opère dans l’esprit humain, en particulier les processus de dissociation auxquels peut recourir une personne traumatisée. Après avoir terminé le livre, j’ai compris que la guérison d’un traumatisme est un cheminement long et parfois douloureux, et que la réponse ultime à la guérison implique toujours la proximité avec d’autres êtres humains. Pendant quelques mois, tout cela est devenu mon univers d’exploration et de compréhension.

Lina Wolff est largement considérée comme l’une des voix les plus fascinantes de la littérature scandinave d’aujourd’hui. Son premier roman, Bret Easton Ellis et les autres chiens (Gallimard, 2019), rencontre instantanément le succès. Avec son deuxième ouvrage, Les Amants polyglottes (Gallimard, 2018), elle remporte en 2016 le prix August, le plus prestigieux des prix littéraires suédois. Elle est également la traductrice suédoise de Gabriel García Márquez, Roberto Bolaño et Karina Sainz Borgo.

L’équipe des Argonautes

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Editeur : Les Argonautes Éditeur • 5 janvier 2024 • 272 pages


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