Boris Pahor, une voix littéraire importante de l’Europe, s’éteint à l’âge de 108 ans
L’écrivain et intellectuel slovène Boris Pahor est décédé le 30 mai 2022.
Né en 1913 à Trieste, à l’époque austro-hongroise mais rattachée à l’Italie cinq ans plus tard, l’enfance de Pahor a été marquée très tôt par des expériences d’oppression. Avec l’arrivée au pouvoir du dictateur Benito Mussolini, la minorité slovène à laquelle il appartenait a été persécutée et l’utilisation de sa langue maternelle interdite. Selon Pahor, Mussolini créa dans ces années-là les fondations des idées génocidaires que Hitler allait perfectionner.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Boris Pahor, entre temps fervent militant politique, a été interné dans différents camps de concentration nazis, expérience qui a marqué son écriture fortement autobiographique.
La mort de Boris Pahor n’a pas été une surprise pour Guy Fontaine, un de ses amis et plus grands admirateurs qui s’engage depuis longtemps pour la publication de son œuvre en France. Boris Pahor avait 108 ans et il était malade. Ce qui est important maintenant, nous a dit Guy Fontaine au téléphone, c’est que les lecteurs continuent d’avoir accès à l’œuvre de cet écrivain de langue slovène polyglotte et profondément européen, dont le témoignage littéraire sur les camps sont à mettre sur le même niveau que celui de Primo Levi.
Un volume avec un texte de Boris Pahor « Le berceau du monde », accompagné d’essais et suivi d’un entretien inédit entre Boris Pahor et Stéphane Hessel est paru aux éditions Pierre Guillaume de Roux en 2019 sous la direction de Guy Fontaine.
Avec son aimable autorisation, nous en avons extrait les passages suivants pour vous donner envie d’aller plus loin et pour découvrir cet auteur dont plusieurs romans ont été traduits en français dans le passé et notamment Printemps difficile, traduit par Andrée Lück-Gaye et publié aux édition Phébus en 1995, que vous allez trouver sur la Carte des Argonautes. Passages tirés de « Ma petite soeur l’espérance », article de Guy Fontaine et du texte original de Boris Pahor « Le berceau du monde » extraits de:
Et si c’était à refaire : Chemins de Boris Pahor, sous la direction de Guy Fontaine, éditions Pierre-Guillaume de Roux. Traduction du texte de Boris Pahor traduit du slovène par André Lück-Gaye et Claude Vincenot. Éditions Pierre-Guillaume de Roux 2019.
« Le berceau du monde » – une nouvelle de Boris Pahor
par Guy Fontaine
Cette nouvelle est l’un des très rares documents littéraires du XXe siècle qui témoigne du réapprentissage de la vie après l’expérience de la souffrance extrême dans l’extrême oppression: Boris était trentenaire, étudiant au séminaire, quand la tyrannie fasciste lui a fait connaître la barbarie du système concentrationnaire nazi. Mais voilà que le ler mai 1945, un coup de dés de l’Histoire lui permet, à 32 ans, de s’extirper de l’enfer, et le voici qui s’initie, quelques jours, à la sortie d’un train de hasard, à balbutier à nouveau le b.a.-ba de l’alphabet humain. Dans le Nord de la France, à Lille, dans le quartier de la gare.
Lille. Une ville dont je connais quatre rues et un bâtiment. Gris, imposant, carré, c’est probablement un ancien monastère qui a été transformé en caserne. Mais il existe bien des villes dont on sait encore moins de choses… Salle d’attente de troisième classe, sac à dos militaire sous la tête, mégots et assoupissement dans l’attente du tohu-bohu du train de la nuit… L’ensemble peut néanmoins être regroupé sous un seul nom: Lille. Après cette expérience, on peut imaginer les yeux étonnés des Grecs quand ils aperçurent la mer après avoir échappé au désert. Thalassa. Thalassa. Peut-être est-ce à tort que nous essayons de sentir le battement désordonné de leur cœur; pour eux en effet, le silence tendu, dense, était sans doute le discours le plus éloquent.
C’est le matin. Un matin de mai. Un train avance lentement, il glisse presque le long du quai. Dans le silence. Comme s’il rampait dans un piège mystérieux. Même si le silence, inhabituel pour nous, ne tient qu’à l’absence de vociférations, ce calme étrange éveille chez les revenants une inquiétude qui confine à la panique. Pourtant, à ce moment-là, on n’en a pas conscience, on ne se rend pas compte qu’au pays de la mort tout l’humain était réduit à un cri sauvage, agressif, alors que, au-delà de la frontière fatale, la valeur de l’existence se concentre dans un silence riche et plein. Seules les rayures bleuâtres de nos vêtements témoignent encore de l’au-delà. Des corps descendent du train, d’autres sont allongés sur des brancards, leurs rayures bleues et grises, telles des flèches tranchantes, déchirent l’atmosphère en tous sens, marques visibles des vociférations tracées sur le prisonnier pour empêcher de se dérober imperceptiblement à la mort.
Boris Pahor « Le berceau du monde »
Le silence, la densité du silence, les retrouvailles avec des choses vraies – des vrais mots, des vrais murs, des vraies boutiques de coiffeur, etc. –, tout cela, Boris Pahor, tout juste sorti des camps, le redécouvre à Lille. Cette ville tient son nom d’une origine insulaire ; Lille – l’insula, l’isle, que ne borde aucune mer, tient pourtant, dans cette nouvelle, un rôle de mère. Le titre nous le dit: elle est le Berceau du monde. C’est la capitale française (et l’une des capitales européennes) du textile, en 1945. Et la qualité des lits que Boris retrouve, après les infectes paillasses de Bergen-Belsen, ne dément pas cette réputation.
Les lits sont nombreux, les dortoirs longs. Larges aussi. Mais il y en a de tout petits, de deux ou trois lits. Ces lits en fer sont garnis de vrais matelas, si épais qu’ils ont l’air un peu moins grands que les lits habituels; ce sont de vrais lits, directement issus de notre mémoire, avec un drap du dessous replié vers l’extérieur, et même rentré en un étroit et long triangle le long du bord. Et c’est grâce à cette toile immaculée qui lui offre un accueil franc, doux et engageant, que notre corps comprend en un éclair qu’il est sauvé.
Boris Pahor « Le berceau du monde »
Boris Pahor : un écrivain avant tout profondément européen
La vie de Pahor reflète comme peu d’autres la fracture culturelle et politique qui traverse l’Europe depuis l’avènement du nationalisme. L’histoire de Trieste, sa ville natale, est profondément marquée par sa situation entre l’est et l’ouest, entre le fascisme, le communisme et la démocratie et – de nouveau d’une actualité brûlante – la frontière entre le monde roman et le monde slave.
Lire Pahor, c’est voyager dans le passé douloureux de notre continent mais aussi en apprécier ses racines et influences culturelles, sa diversité et la profondeur de son expérience historique. Grand polyglotte et politiquement engagé pour les minorités jusqu’à l’âge de 105 ans, Pahor était avant tout profondément européen.
Se plonger dans l’œuvre de Pahor : par quel livre commencer ?
Pèlerin parmi les ombres (1990)
Dans son récit, le passé et le présent se renvoient l’un à l’autre de manière fascinante. Le regard de l’homme infirmier du camp est ainsi confronté à la perspective de celui qui, quarante ans plus tard, cherche à communiquer ses souvenirs du camp.
Placé aujourd’hui à côté des œuvres de Primo Levi et Imre Kertész, celle de Pahor, qui a publié de nombreux romans et récits après 1948, n’a été découverte que tardivement. Dans son roman majeur et très remarqué, Pèlerin parmi les ombres, il relate son errance à travers les camps allemands : Dachau, Natzweiler, Bergen-Belsen.
Publié aux éditions La Table ronde, traduit par Andrée Lück-Gaye.
« C’est étrange, il me semble que les touristes qui regagnent leurs véhicules m’observent comme si, soudain, une veste recouvrait mes épaules, comme si mes galoches écrasaient encore les cailloux du chemin. Car si nous ne savons pas comment s’établit en nous le contact entre passé et présent, il n’en est pas moins vrai qu’un fluide imperceptible et puissant nous traverse parfois et que la proximité de cette atmosphère inhabituelle, insolite, fait tressaillir les autres comme une barque sur une vague soudaine. Il est peut-être resté sur moi quelque chose des jours d’autrefois. »
Boris Pahor, Pèlerin parmi les ombres.
Printemps difficile (1995)
Dans Printemps difficile, publié aux éditions Phébus, le protagoniste et alter ego de Boris Pahor Radko Suban entre, après la libération mais encore dans l’uniforme rayé des camps, dans un sanatorium en France et tombe amoureux d’une infirmière française, Arlette. La dimension autobiographique y est également très marquée.
Publié aux éditions Phébus, traduit par Andrée Lück-Gaye.
Jours obscurs (2001)
Dans Jours obscurs, nous retrouvons Radko Suban au temps de son entrée dans la résistance et des camps.
Publié aux éditions Phébus, traduit par Antonia Bernard.
« Qui connaît Boris Pahor ?… éblouissant écrivain dont on découvre enfin ce roman poignant : Printemps difficile… Un chef-d’œuvre. »
Jean-Luc Douin, Télérama.
Commencez par Printemps difficile : un témoignage singulier sur l’effort de vivre après l’expérience des camps, sur l’envie de vivre malgré tout et sur la puissance de l’amour.
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