Sélections

Une porte d’entrée de l’Europe ? 

Si la littérature turque est foisonnante et diverse,  les auteurs sont nombreux à se sentir obligés de quitter le pays où la liberté d’expression est bafouée

Cette année, j’étais l’invitée du programme des éditeurs internationaux du Salon du livre à Istanbul. Un planning très chargé m’a permis de rencontrer des collègues et des agents littéraires de toute une région géographique entre la Turquie, la Géorgie, la Slovénie et l’Hongrie, mais aussi de l’Ouzbékistan, de l’Iran et de l’Azerbaïdjan.

J’ai à peine eu le temps de me promener, mais j’ai quand même pu m’apercevoir par combien Istanbul a changé depuis que j’y étais venue la dernière fois il y a vingt-cinq ans. À l’époque, un ami qui vivait sur place m’a montré tous les endroits les plus fascinants d’Istanbul. Le bazar haut en couleur, les ateliers de couture avec des machines qui semblaient dater des années trente, les quartiers de maisons en bois, les ruelles et descentes vers le pont de Galatasaray avec sa vue sur les minarets majestueux des mosquées historiques. Face à la Corne d’or baignée dans les brumes du Bosphore, j’avais décidé que cette ville avec son histoire si riche, Istanbul, Byzance, Constantinople, était pour moi une des plus belles du monde.   

À cheval sur deux continents, l’Europe et l’Asie, Istanbul a souvent joué un rôle dans les tensions entre les peuples et les cultures de l’Occident et de l’Orient. Le contrôle du détroit du Bosphore en fait ce qu’on aime appeler la porte d’entrée de l’Europe. La population d’Istanbul a explosé ces dernières décennies pour atteindre presque 15 millions d’habitants. La métropole cosmopolite que j’ai connue est aujourd’hui avant tout un terrain politique problématique, bousculé entre les tendances modernes et un traditionalisme extrême, loin des réflexions d’une possible entrée en Union européenne qui ont pu être menées à un moment.

Une rue à Odessa

Dans cette ambiance de tensions qui laisse de moins en moins la place à une libre expression, les intellectuels et auteurs turcs sont nombreux à quitter le pays. C’est le cas d’Aslı Erdoğan, autrice et journaliste engagée d’une voix flamboyante, qui vit après plusieurs condamnations exilée en Allemagne, mais aussi de Burhan Sönmez, que j’ai eu la chance d’accompagner aux éditions Gallimard avec son très beau roman Maudit soit l’espoir. Burhan Sönmez a été à plusieurs reprises incarcéré. Il a choisi de rester en Angleterre.  Selahattin Demirtaş, homme politique et écrivain de talent, se trouve malgré plusieurs protestations de la Cour européenne des droits des hommes, toujours incarcéré. Ahmet Altan, qui a récemment remporté le prix Femina étranger pour son si beau roman Madame Hayat, a été libéré en printemps dernier après cinq ans de prison. Et même Orhan Pamuk, Prix Nobel de la littérature, a subi des interrogatoires après avoir été soupçonné d’avoir critiqué le père fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk dans son dernier roman Les nuits de la peste.

Mais ce qui semble le plus intéressant à remarquer, c’est que la plus grande partie de la littérature turque se concentre sur la ville si fascinante d’Istanbul. Le roman de Burhan Sönmez que j’ai eu la chance d’accompagner aux éditions Gallimard s’appelait dans l’original Istanbul Istanbul et nous avons choisit avec l’auteur de changer le titre en Maudit soit l’espoir qu’il soit plus parlant et plus singulier. Car la même année nous avions reçu la magnifique traduction du dernier roman d’Orhan Pamuk, Cette chose étrange en moi, fresque éblouissante de la megalopole qui est devenu Istanbul ces dernières cinquantes années.

Rares sont les romans qui décrivent la vie à la campagne, l’Anatolie, la Cappadoce ou encore la capitale Ankara, pendant qu’Istanbul, c’est bien connu par tous ses habitants, est souvent considérée une protagoniste à elle-même dans les romans turques !

Notre sélection des publications phares de la littérature turque !

1 – Une prose bouleversante :

Requiem pour une ville perdue d’Aslı Erdoğan, publié aux éditions Actes Sud, traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, 144 pages. 

Dans une prose poétique et puissante, qui ne forme peut-être pas un roman, mais qui paraît bel et bien être un requiem, une réflexion en plusieurs textes très personnels, l’autrice évoque la solitude qu’elle ressent depuis son exil en Allemagne. Elle partage les souvenirs d’une enfance au cœur de la grande ville d’Istanbul, à Galata, quartier portuaire très animé où Erdoğan a longtemps habité.

L’autrice engagée, qui ne peut plus rentrer en Turquie sous peine d’être incarcérée, évoque avec beaucoup de tendresse sa mère, mais aussi combien le désir d’écrire a toujours été présent en elle, comme un besoin vital. C’est très beau. 

Asli Erdogan est physicienne et a travaillé au Centre européen de recherches nucléaires de Genève. Après son engagement public pour la minorité kurde, elle est devenue le symbole de la liberté d’expression malmenée dans la Turquie d’aujourd’hui. 

2 – L’incontournable

Les nuits de la peste d’Orhan Pamuk publié aux éditions Gallimard, traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, 688 pages.

À Mingher, une île imaginaire au large de Rhodes sur la route d’Alexandrie, une épidémie se déclare. Mais tandis que des spécialistes dépêchés par le sultan de l’île tentent d’endiguer le flot des contaminations, les tensions entre les habitants ne cessent d’augmenter.

En écrivant sur cette île imaginaire, le prix Nobel turc, Orhan Pamuk, dresse avec intelligence et finesse une grande fresque historique de l’Empire ottoman qui résonne de manière puissante avec notre monde d’aujourd’hui. 

Orhan Pamuk, lauréat du Prix Nobel de littérature en 2006, est né en 1952 à Istanbul. Il est aujourd’hui l’auteur turc le plus lu au monde. Connu également pour son engagement intellectuel et politique, son œuvre magnifique, duquel nous vous avons déjà parlé à plusieurs reprises ici, est traduite en une soixantaine de langues.

3 – Le coup de poing 

Encore de Hakan Günday publié aux éditions Gaalade et en format poche au Livre de poche, traduit du turc par Jean Descat, 384 pages.

Sur les rives de la mer Egée, Gaza, neuf ans, assiste son père dans son métier de passeur. C’est lui qui tient dans ses mains les destins de nombreux hommes et femmes désespérés quand il les cache dans d’immenses entrepôts avant qu’ils aillent tenter la traversée vers la Grèce. Mais une nuit, l’existence de Gaza change à jamais et il se retrouve lui aussi à lutter pour sa survie.  

L’adaptation cinématographique du roman, qui a fait partie de la sélection officielle du festival international du film de Karlovy Vary, devrait d’ailleurs être disponible sur Netflix. Mais croyez-moi, le roman est bien bien plus intéressant ! Traduit en vingt-huit langues, le roman a remporté en France le prix Médicis étranger 2015). 

Hakan Günday est un écrivain turc majeur, connu notamment pour sa plume acérée et le regard sans concession qu’il pose sur notre époque. Son roman Encore a été traduit dans vingt-sept langues et comparé aux plus grands romans de la littérature mondiale, notamment ceux de Dostoïevski ou de Céline. 

4 – Le prix Femina étranger

Madame Hayat d’Ahmet Altan publié aux éditions Actes sud, traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, 272 pages.

Nous vous avons déjà beaucoup parlé de ce bijou de roman turc, également traduit par Julien Lapeyre de Cabanes. Mais en cas que vous ne l’eussiez toujours pas lu, n’hésitez pas une seconde. Alors que le climat en Turquie devient de plus en plus tendu et pesant, Fazil, un étudiant en lettres, fait une rencontre qui va changer sa vie: Madame Hayat est une femme d’âge mûr au charme ensorcelant. Le garçon tombe éperdument amoureux d’elle. Au fil de leurs rendez-vous et de leurs échanges, ce sont deux visions de la vie et du monde qui vont se confronter. À son contact, Fazil va finalement apprendre à vivre et à être libre. Madame Hayat a reçu le Prix Femina étranger. 

Ahmet Altan est un des écrivains les plus brillants de la Turquie. Romancier et essayiste, il est également rédacteur en chef du journal Taraf jusqu’au coup d’État manqué en 2016. Accusé de critique contre le gouvernement, il a écrit Madame Hayat lors de sa peine en prison de laquelle il a été libéré seulement en avril 2021.

5 – Le poétique

Maudit soit l’espoir de Burhan Sönmez publié aux éditions Gallimard, traduit du turc par Madeleine Zicavo, 288 pages.

Dans la cellule d’une prison sans nom dans la ville d’Istanbul, quatre hommes se racontent des histoires. Des anecdotes et blagues sont suivis par leurs récits plus intimes. Peu à peu, entre deux interrogatoires, la torture et l’incertitude de ce qui va leur arriver, ils commencent à dévoiler les secrets qui les ont amenés ici. En rêvant il s’imaginent un avenir – tout en dessinant le portrait d’une Istanbul lumineuse et plein d’espoir en contraste poignant avec l’oppression. 

Né à Haymana en 1965, Burhan Sönmez est avocat et auteur. Engagé en politique, il a subi des pressions puis des violences. Il s’est exilé en Grande-Bretagne. Ses romans sont traduits en plusieurs langues et lui ont remporté des prix littéraires internationaux prestigieux.

Par Katharina Loix van Hooff

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28 rue de Paris, 78100 Saint-Germain-en-laye

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01 octobre 2023 à 2:15 pm

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Salle au 1er étage du château du Val Fleury à Gif-sur-Yvette 5 All. du Val Fleury, 91190 Gif-sur-Yvette

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Espace Cosmopolis, Passage Graslin - 18 rue Scribe, 44000 Nantes

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